bell hooks
Biographie détaillée, par Mélissa Chemam
Enfance
Gloria Jean Watkins est née le 25 septembre 1952 à Hopkinsville, une petite ville du Kentucky sous la ségrégation. Son père, Veodis Watkins, est concierge, et sa mère, Rosa Bell Watkins, femme au foyer.
Elle grandit dans une famille de la classe ouvrière, de cinq sœurs et un frère, dans une communauté afro-américaine encore ségréguée. Elle expliquera plus tard que l'expérience de grandir pauvre, noire et femme a eu un profond impact sur elle et n'a cessé de nourrir son écriture et son engagement.
Études d’anglais et premiers textes
La future bell hooks étudie dans des écoles publiques pour “Noirs”, qui sont soumises à la ségrégation raciale. Elle parlera par la suite des difficultés auxquelles elle est confrontée lorsqu'elle entre dans une école intégrée, aux enseignants et élèves majoritairement blancs.
Elle reçoit un diplôme de fin d'études au lycée de Hopkinsville, étudie l’anglais à l'université de Stanford et obtient une licence en 1973, puis un master, toujours en anglais, à l'université du Wisconsin en 1976. Elle écrit déjà : de la poésie, et de la non-fiction.
Parallèlement, elle commence à enseigner en 1976, en tant que professeure d'anglais et maître de conférence en études ethniques à l'université de Californie du Sud. Elle y reste trois ans, durant lesquelles paraît son premier recueil de poèmes, intitulé And There We Wept (« Et là nous avons pleuré »), en 1978, sous son nom de plume.
Gloria Jean Watkins a forgé son pseudonyme de « bell hooks » à partir des noms de sa mère et de sa grand-mère. Elle choisit d’employer des initiales en minuscule, de manière non conventionnelle, car pour elle le plus important dans ses travaux est la « substance des livres, pas ce que je suis ».
Pendant ses études, à partir de 1971 (elle a 19 ans), elle commence aussi à écrire son livre Ain't I a Woman: Black Women and Feminism (en français : Ne suis-je pas une femme: Femmes noires et féminismes). Le livre sera publié en 1981.
Enseignante, chercheuse, autrice, conférencière, vulgarisatrice
Au début des années 1980, alors qu’elle enseigne dans plusieurs institutions universitaires, notamment l'université de Californie à Santa Cruz et l'université d'État de San Francisco, elle commence une thèse de doctorat, sur la romancière afro-américaine Toni Morrison.
Avec la publication de Ain’t I a Woman ?, elle gagne une notoriété de penseuse politique de gauche. hooks essaie d'atteindre une large audience en présentant son travail à travers plusieurs médias, employant différentes manières de parler et d'écrire en fonction du public auquel elle s’adresse.
En 1983, après plusieurs années d'enseignement et d'écriture, hooks termine son doctorat au département de littérature de l'université de Californie à Santa Cruz. Elle occupe ensuite le poste de professeure d'études africaines et afro-américaines, et d’anglais, à l'université de Yale, puis celui de maître assistante d'études féminines et de littérature américaine à Oberlin College à Oberlin (Ohio) et enfin celui de ‘Distinguished Lecturer of English Literature’ au City College of New York.
En parallèle, elle continue d’écrire : ses livres traitent de la situations des hommes noirs aux Etats-Unis, de la masculinité mais aussi l'auto-défense, de la remise en cause d'un féminisme blanc pseudo universel, de la pédagogie engagée, de la sexualité, de la lecture politique de la culture visuelle. Elle écrit aussi des mémoires personnels.
Dans son livre Feminist Theory: From Margin to Center, publié en 1984, hooks développe une critique du racisme féministe blanc dans le féminisme de la deuxième vague, qui, selon elle, sape la possibilité d'une solidarité féministe à travers les lignes raciales. Dans ses écrits les plus tardifs, elle traite de la capacité de la communauté et de l'amour à dépasser les questions de race, classe et genre. Elle écrit également de la fiction : trois romans et quatre livres pour la jeunesse.
Elle affirme tenter de prouver que la communication et la culture - notamment l’aptitude à lire, écrire et avoir une pensée critique - sont la clé du développement de communautés heureuses et réussies, et de relations saines, qui ne soient pas contaminées par les restrictions du au prisme de la race, la classe ou le genre.
À propos d'amour
En 2000 est publié un de ces livres qui fera date : À propos d’amour (All About Love), s’emparant d’un sujet généralement délaissé par les intellectuels. Elle y analyse les étapes et éléments clés d’une relation amoureuse et des sentiments, dont l’honnêteté, l’engagement, la cupidité, la romance, la perte…
« Si j’écris sur l’amour », défend-elle à la fin de sa préface, « c’est à la fois pour témoigner du danger de ce processus et pour défendre l’idée d’un retour à l’amour. Parce qu’il rachète et répare, l’amour nous ramène à la promesse de la vie éternelle. C’est en aimant que notre cœur s’exprime ».
Pour étayer ses propos, elle ne lésine pas sur les exemples de sa vie privée, mais aussi sur ceux de la pop culture, rendant son propos plus accessible au grand public que ceux des sociologues et psychologues.
Texte singulier, typique de la perspicacité de bell hooks et son talent de vulgarisatrice, ce livre défini l'amour comme un acte et non comme un sentiment. bell hooks y démonte tous les obstacles que la culture patriarcale oppose à des relations d'amour saines, et envisage un art d'aimer qui ne se résume pas au frisson de l'attraction ou à la simple tendresse.
Recourant à la philosophie morale comme à la psychologie, elle s'en prend au cynisme qui entoure les discussions au sujet de l'amour, et s'attache à redonner toute sa noblesse à la possibilité de l'amour, dans une perspective féministe.
Grands textes et conférences majeures
En 2002, elle donne un discours de remise des diplômes controversé à la Southwestern University, alors son employeur. Elle y parle de l'oppression et de la violence cautionnées par le gouvernement américain. Elle y encourage les étudiants à ne pas suivre le courant. Une partie des auditeurs se met à huer son discours, mais plusieurs étudiants diplômés passent devant le principal pour serrer venir lui serra la main ou l’étreindre.
En 2003 paraît son livre La volonté de changer. Les hommes, la masculinité et l’amour, offrant un questionnement de la masculinité et du patriarcat, ainsi que des éléments de réflexion pour comprendre la place des hommes dans les luttes féministes, et leur faire comprendre à eux que le sujet les concernent tout autant. Un chapitre y est consacré : « Etre féministe quand on est un homme ». Elle y évoque notamment la violence, et en particulier celle de son propre père.
Avec ce livre, et ceux qui suivront, bell hooks a, quelques années avant que le terme d’ « intersectionnalité » ne soit proposé par la juriste Kimberlé Williams Crenshaw, mis en avant « l’interconnexion de l’oppression de sexe, de classe et de race ». Et cela restera jusqu’à la fin au cœur de son travail livresque.
En 2004, elle rejoint le Berea College dans le Kentucky, où elle a grandi, comme professeure émérite en résidence. Elle y participe à un groupe de discussion féministe hebdomadaire et à un séminaire intitulé « Building Beloved Community: The Practice of Impartial Love ». La même année paraît son livre Tout le monde peut être féministe, considéré comme un de ses plus accessibles.
Elle a été ‘chercheuse en résidence’ à la New School à trois reprises, la dernière fois en 2014. Toujours en 2014, l'Institut bell hooks est fondé au Berea College, auquel elle fait don de ses travaux en 2017.
Vie personnelle, amoureuse et spirituelle
bell hooks se décrit comme une personne “queer-pas-gay". Elle utilise la négation "pas" - en français, se traduisant par "not" en anglais. hooks décrit le fait d'être queer comme “non pas une définition par la personne avec qui vous avez des relations sexuelles, mais comme le fait d’être en désaccord avec tout ce qui l’entoure". Elle déclare: “Quand il s’agit de l'essence de queer, je pense au travail de Tim Dean sur le fait d'être queer, et queer ne concerne pas la personne avec qui vous avez des relations sexuelles - cela peut en être une dimension - mais queer comme étant à propos du soi qui est en contradiction avec tout ce qui l'entoure et qui doit inventer, créer et trouver un lieu pour parler, prospérer et vivre.”
Lors d'une interview avec Abigail Bereola en 2017, bell a révélé à Bereola qu'elle était célibataire, alors qu'elles discutaient de sa vie amoureuse. Elle a déclaré : "Je n'ai pas de partenaire. Je suis célibataire depuis 17 ans. J'adorerais avoir un partenaire, mais je ne pense pas que ma vie ait moins de sens."
Elle s’intéresse également au bouddhisme. C’est son intérêt pour la poésie américaine de la ‘Beat Generation’, et sa rencontre avec le poète bouddhiste Gary Snyder, qui lui font découvrir cette religion, dans ses premières années d’université. Elle a expliqué avoir trouvé le bouddhisme dans le cadre d'un voyage personnel dans sa jeunesse, cherchant à recentrer l'amour et la spiritualité dans sa vie, et à se focaliser sur l'activisme et la justice sociale. Après ses premières expositions au bouddhisme, elle incorpore ses idées et valeurs dans son éducation, qui fut d’abord chrétienne, et cette pensée combinée “chrétienne-bouddhiste” a influencé son identité, son activisme et son écriture pour le reste de sa vie.
En 2018, bell hooks entre au Kentucky Writers Hall of Fame.
bell hooks est décédée à Berea Kentucky, le 15 décembre 2021, à l’âge de 69 ans, après avoir souffert d’une longue maladie. Son œuvre reste étudiée dans de nombreuses universités américaines.
Ses livres (sélection en anglais) - essais :
Le recueil de poèmes intitulé And There We Wept (« Et là nous avons pleuré ») - 1978
Ain't I a Woman ? Black Women and Feminism - 1981, un ouvrage qui aborde l'histoire et l'impact du sexisme et du racisme sur les femmes noires.
Son deuxième essai, Feminist Theory: From Margin to Center - 1984
Talking Back: Thinking feminist, thinking Black - 1989
Yearning: Race, Gender, and Cultural Politics - 1990
Teaching to transgress: education as the practice of freedom - 1994
All About Love: New Visions - 2000
Feminism is for everybody: passionate politics - 2000
The will to change: men, masculinity, and love - 2004
Belonging: a culture of place - 2009
Avec le penseur britannique Stuart Hall, et une préface de Paul Gilroy - Uncut Funk: A Contemplative Dialogue - 2018 (New York, Routledge)
Ses livres pour enfants :
Happy to be Nappy - 1999
Homemade Love - 2002
Be boy buzz - 2002
Skin again - 2004
Grump groan growl - 2008
Ses livres en français : https://tinyurl.com/3wt3hfm3
A propos d'amour : nouvelles visions - 7 octobre 2022
Ne suis-je pas une femme ?: Femmes noires et féminisme - Avec une préface d’Amandine Gay - 16 juillet 2021
La volonté de changer: Les hommes, la masculinité et l'amour - 29 octobre 2021
Communion: Aimer en féministes de Bell Hooks - 9 novembre 2022
Apprendre à transgresser: L'éducation comme pratique de la liberté - 3 octobre 2019
À lire :
Qui était bell hooks, l’autrice afro-féministe décédée à 69 ans ? - ELLE (déc. 2021)
https://www.elle.fr/Societe/News/Qui-etait-bell-hooks-l-autrice-afro-feministe-decedee-a-69-ans-3977314
3 livres de bell hooks à lire absolument - ELLE (nov. 2022)
https://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Livres-de-bell-hooks-a-lire-absolument-4076753
L’afro-féminisme perd bell hooks, l’une de ses figures majeures - Télérama (déc. 2021)
https://www.telerama.fr/debats-reportages/l-afro-feminisme-perd-bell-hooks-l-une-de-ses-figures-majeures-7007793.php
Publier les féministes étrangères disparues : les chemins de traverse de l’édition militante - Télérama - Janvier 2023
https://www.telerama.fr/livre/publier-les-feministes-etrangeres-disparues-les-chemins-de-traverse-de-l-edition-militante-7013918.php
Écoutez l’épisode
bell hooks a été présentée par notre invitée Mai Hua dans l’épisode 7 du podcast.