La Reine de Saba
Biographie détaillée, par Mélissa Chemam
Pourquoi elle est importante
Même si aucune preuve archéologique définitive n’indique qui était la reine exactement ni d’où elle venait précisément, l’histoire de cette rencontre biblique a eu un impact immense sur l’imaginaire populaire, des pays occidentaux chrétiens comme des pays musulmans. Notamment en Ethiopie et dans la religion chrétienne copte, bien sûr, mais aussi en Europe et jusqu’aux Etats-Unis.
Cette histoire ou mythe a véhiculé des messages de beauté, de richesse, de pouvoir, d’exotisme, d’intrigue, de magie et d’amour.
La Reine pourrait être un amalgame de différents personnages historiques, ou être une légende à part entière. L’emplacement même de son royaume fait l’objet de débats houleux entre les spécialistes : certains le situent en Éthiopie, donc en Afrique ; d’autres dans l’actuel Yémen ; d’autres encore dans une vaste région comprenant les deux nations.
Malgré ces flous, les références à la reine ont inspiré de nombreux artistes : pour des miniatures turques et perses d’abord, avec la création de tableaux et de musiques européennes, ou encore avec la production du peplum hollywoodien de 1959, Salomon et la Reine de Saba, dans lequel l’acteur Yul Brynner incarne le roi sage et l’actrice Gina Lollobrigida sa compagne.
En France, la reine de Saba a inspiré des héroïnes de littérature de Flaubert à Senghor, ainsi que la “Balkis” du Voyage en orient de Gérard de Nerval, connue pour fasciner les hommes depuis les festins arrosés du royaume de Judas.
Elle correspond aussi au personnage de la Makeda abyssine en Ethiopie, qui, selon la tradition localee, donna naissance au fils de Salomon, Ménélik.
La reine de Saba reste ainsi l’un des plus forts personnages de souveraine connue dans l’imaginaire mondial.
Sources multiples
L’histoire du roi Salomon et de la reine de Saba est évoquée dans les Livres des Rois et dans les Livres des Chroniques de la Bible. La reine et le roi Salomon sont au centre du chant du Cantique des cantiques de la Bible, qui les inscrivit pour l'éternité dans la mémoire amoureuse de l’Occident.
Le Cantique des cantiques, dit aussi Cantique ou Chant de Salomon, est un livre de la Bible revêtant la forme d'une suite de poèmes, de chants d'amour alternés entre une femme et un homme (voire où plusieurs couples s'expriment), qui prennent à témoin d'autres personnes et des éléments de la nature. Son écriture est attribuée traditionnellement à Salomon, roi d'Israël. Le texte est lu à la synagogue lors du shabbat de la fête de Pessa'h ainsi que, dans la tradition séfarade, lors de l’office de chaque vendredi soir. C'est l'un des livres de la Bible les plus poétiques.
Le contenu du récit serait qu’une reine (sans nom) en provenance de Saba, se rendit à Jérusalem avec de l’or, des bijoux et des épices. En quête de savoir, elle s’intéressa particulièrement à Salomon, que l'on disait extrêmement sage, et lui posa des « questions complexes ».
Salomon releva le défi et accueillit la reine. En remerciement, elle lui fit parvenir des offrandes. Le texte raconte : « En fait, il n’arriva plus jamais une aussi grande quantité de parfums et d’épices que celle que la reine de Saba offrit au roi Salomon. » Plus tard, elle confia au roi Salomon : « Ta sagesse et ta prospérité surpassent tout ce que j’avais entendu dire. » (1 Rois, 10,7)
Selon l’écrivain Marek Halter, qui a écrit un roman inspiré par la reine, elle était également noire et Africaine, ce que les autres récits modernes ont eu tendance à occulter.
L’histoire, en résumé
Désireuse de rencontrer le légendaire roi Salomon, la Reine de Saba, jeune, belle et non mariée, se rend en Judée, munie de cadeaux matériels évoquant son pouvoir par les richesses de son pays. Mais Salomon, connu pour sa sagesse, ne se laissa pas impressionner.
À son arrivée, la reine aurait alors présenté à Salomon trois énigmes, qu’il s’empressa de résoudre. Cet échange révéla les connaissances et les talents diplomatiques de la Reine car les énigmes étaient plus qu’un simple jeu pour la souveraine. Elles étaient un moyen pour elle de tester Salomon. Vaincue, elle se donna à lui pour trois éblouissantes nuits.
Les attributs de la Reine de Saba
Dans la Bible, la Reine de Saba est décrite comme intelligente, indépendante, exigeante et respectueuse. L’historien romain Flavius Josèphe, auteur des œuvres datées du 1er siècle Antiquités judaïques, affirma que la reine de Saba « était d’une sagesse accomplie et, à tous égards, digne d’admiration ». L’écrivain Marek Halter la nomme Makéda.
Récits des différents textes religieux
Au fil du temps et des ajouts postérieurs, la rencontre entre les deux souverains s’est agrémentée de compléments plus ou moins pittoresques.
Selon la Torah, la Bible hébraïque, la reine de Saba - mentionnée dans le Tanakh et la Septante - arriva à Jérusalem accompagnée d’une grande suite, « avec des chameaux portant des épices, et beaucoup d’or et de pierres précieuses ».
« Il n'y eut jamais d'aromates comme ceux que la reine de Saba donna au roi Salomon. »
Durant sa visite, elle posa au roi de nombreuses questions auxquelles ce dernier répondit correctement. Ils échangèrent des cadeaux, après quoi elle retourna dans son pays.
Dans le Nouveau Testament, l’évangile de Luc l'évoque sous le nom de « Reine de Midi » (Luc 11,31). Une interprétation mystique du Cantique des Cantiques apparaît dans les commentaires d'Origène sur les Cantiques. Il identifie la narratrice, ou « épouse », avec la « Reine du Midi » des chants.
D’autres études ont proposé que le couple présenté dans le livre soit Salomon et la fille du pharaon. Le Targoum Sheni, un texte juif datant du 7e ou du 8e siècle après J.-C., comporte le plus de détails.
Les caractéristiques de la rencontre :
L’histoire commence avec une huppe, un oiseau à crête originaire de la région, dotée de parole, qui informa Salomon que le pays de Saba était le seul sur Terre à ne pas être soumis à son pouvoir. Salomon envoya la huppe en ces lieux, accompagnée d’une lettre exhortant la reine à se soumettre à son pouvoir. Elle répondit en renvoyant une flotte « composée de tous les navires de la mer », chargés de cadeaux précieux, dont six mille jeunes hommes, tous de la même taille, tous vêtus de pourpre et tous nés à la même heure, le même jour. Ils remirent un message de la reine qui annonçait qu’elle se rendrait à Jérusalem.
Dans le Coran, la reine ne porte pas de nom, mais des sources arabes plus récents la nomment Bilquis.
Dans la version islamique, Sulayman (Salomon) avait foi en Allah, était réputé pour sa sagesse et pouvait comprendre le langage des arbres et des animaux. Sulayman contrôlait également une armée de “djinns” (des esprits magiques), “d’hommes et d’oiseaux”.
À l’instar du texte juif, l’histoire commence avec un oiseau, qui rapporta à Sulayman des nouvelles du lointain pays de Shéba, où régnait la puissante Bilqis et où les gens vénéraient le Soleil. L’oiseau déclara : « Je l’ai trouvée, elle et son peuple, se prosternant devant le soleil au lieu d’Allah. » La nouvelle incita Sulayman à envoyer une lettre dans laquelle il ordonnait à la reine de se convertir à l’Islam.
Dans les traditions, textes et écrits d’inspirations islamiques, la reine de Saba apparaît sous le nom de Bilqis. Elle est la fille d'un roi et d'un djinn ‘femelle’, et règnait sur son royaume sans être mariée. Ce n’est qu’une fois mise à l'épreuve qu’elle adopte finalement le monothéisme et que le roi Salomon/Suleyman la prend pour épouse.
Une histoire africaine, aussi
Le Kebra Nagast, récit éthiopien du XIVe siècle de légitimation de la dynastie régnante en Éthiopie, propose une version étendue du mythe où Ménélik Ier, ancêtre revendiqué de la dynastie régnante en Éthiopie à partir du XIIIe siècle, dite salomonide, serait le fils de Salomon et de Makeda, reine de Saba. Des empereurs éthiopiens choisiront le nom de Ménélik jusqu’au 20e siècle.
Détails :
Au 14e siècle, dans les montagnes du nord de la Corne de l’Afrique, où sont situés aujourd’hui l’Éthiopie, l’Érythrée, la Somalie et Djibouti, l’histoire du roi Salomon et de la reine de Saba prit un sens totalement différent, expliquant la fondation du pays couvrant la Corne de l’Afrique et sa descendance. Dans cette version du récit, la reine avait pour nom Makeda. Cette nouvelle version mêle une multitude de traditions littéraires chrétiennes, juives et musulmanes pour en faire un tout nouveau conte.
Autres versions
Dans la kabbale chrétienne, la reine de Saba est considérée comme la reine des démons et est parfois identifiée avec Lilith, une première fois dans le Targoum, puis plus tard dans le Zohar. Certains des mythes juifs et arabes maintiennent que la reine était en fait une Djinn, mi-humaine, mi-démon.
Dans le folklore Ashkénaze, sa figure se confond avec l’image populaire grecque d’Hélène de Troie. Les légendes ashkénazes dépeignent la reine de Saba comme une danseuse séductrice. Pendant longtemps, elle fut décrite comme une infanticide ou une sorcière démoniaque.
L’histoire de Salomon et de la reine est très populaire auprès des chrétiens coptes, comme le montrent les fragments d’une légende copte conservée sur un papyrus à Berlin. La reine, ayant été soumise par duperie, donne un pilier à Salomon sur lequel tout le savoir terrestre est inscrit. Salomon envoie un de ses démons afin qu’il récupère le pilier d’Éthiopie.
Découvertes archéologiques
Temple de Mahram Bilqis, Yemen
Lors de fouilles, en 1951, dans le désert au nord du Yémen, un temple vieux de 3 000 ans, nommé Mahram Bilqis (Temple of Awwam en anglais, ou temple de Bilqis, reine de Saba) a été découvert par l'équipe de l'archéologue Wendell Phillips. Selon les archéologues, il s'agit d'un site sacré utilisé par les pèlerins entre -1200 et 550. Le temple est situé près de l'ancienne ville de Marib, capitale du Royaume de Saba selon la Bible et la tradition musulmane, et pourrait constituer une preuve de l'existence de la reine de Saba.
Ethiopie
Un palais est également identifié comme celui de la reine de Saba en Éthiopie, dans l’ancienne capitale du pays nommé longtemps Abyssinie (qui comprenait une partie de l’Érythrée et du Soudan), Axoum. Des vestiges retrouvés sur place se situent en dessous du palais d'un roi chrétien. Il semblerait qu'une première version du palais ait été remplacée par un bâtiment orienté vers l'étoile de Sirius, dont la reine de Saba et son fils Ménélik étaient devenus adorateurs selon la Bible.
A voir :
Salomon et la Reine de Saba, avec Yul Brynner et Gina Lollobrigida, 1959
Extrait: https://www.youtube.com/watch?v=S2eIC4YiEq8
A lire :
La reine de Saba, de Marek Halter (2009)
“Elle était noire et belle. Elle subjuguait par son esprit. Guerrière, elle imposa la paix sur le fabuleux royaume de Saba. Elle défia le roi Salomon au jeu des énigmes. Vaincue, elle se donna à lui pour trois nuits. L'histoire dit que Makéda, reine de Saba, et Salomon, roi de Juda et d'Israël, eurent un fils, Ménélik, premier d'une longue lignée de rois africains.”
A écouter :
Sur France Culture, en ligne :
Les festins de la reine de Saba, Dimanche 28 juin 2015
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/on-ne-parle-pas-la-bouche-pleine/les-festins-de-la-reine-de-saba-5625602
Sur France Inter :
André Malraux et le mythique royaume de la reine de Saba
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-thomas-chauvineau/andre-malraux-et-le-mythique-royaume-de-la-reine-de-saba-2906006
En ligne - National Geographic :
La légendaire reine de Saba : ce que révèle l’archéologie
https://www.nationalgeographic.fr/histoire/la-legendaire-reine-de-saba-ce-que-revele-larcheologie
Écoutez l’épisode
La Reine de Saba a été présentée par notre invitée Julie Mamou-Mani dans l’épisode 5 du podcast.