Helena Rubinstein
Biographie détaillée, par Mélissa Chemam
Enfance en Europe centrale
Helena Rubinstein est née dans le quartier juif de Cracovie, de parents commerçants : son père était un petit marchand de combustibles pour lampes à pétrole, et sa mère femme au foyer. Il s’agit d’une famille de juifs orthodoxes modestes ; son grand-père était d’ailleurs rabbin. Chaja parle couramment le polonais, le yiddish et l'allemand. Elle est l'aînée d'une fratrie de huit filles, ce qui lui aurait permis de forger son caractère. Jeune adulte, elle tombe amoureuse d'un garçon non juif qu'elle veut épouser ; mais son père refuse. Elle veut ensuite commencer des études de médecine mais essuie également un refus. De son côté, elle refuse les prétendants que lui choisissent ses parents.
Premiers départs – Autriche puis Australie – et lancement de son projet cosmétique
Comme elle refuse de se marier, elle est envoyée à Vienne vivre chez sa tante maternelle, Helena, et son mari fourreur. Elle travaille dans la boutique de ce dernier. La ville, alors fleuron de la culture européenne, et ses arts, la marqueront durablement. Mais bientôt, Chaja s’ennuie à Vienne... Puis, en mai 1896, comme elle ne veut toujours pas se marier, sa famille décide de l’exiler en Australie, où vivent trois de ses oncles.
A 24 ans, elle part pour les antipodes, rejoindre l’un d’eux– qu'elle ne connaît pas – et échappe ainsi encore à un mariage arrangé. C’est durant ce voyage qu’elle modifie son prénom « Chaja » en « Helena ». Elle s’émerveille également de la beauté des femmes qu’elle croise lors de ce long voyage, à chaque escale : noires, indiennes, métissées. Pendant trois ans, elle travaille d’abord comme aide domestique chez son oncle, ainsi que dans son épicerie-bazar, à Coleraine, à plus de 300 km de Melbourne. Elle prend le temps d'apprendre l'anglais. Mais elle a déjà son propre projet professionnel : créer une pommade pour les peaux abimées par le soleil des Australiennes. Elle s’inspire d’un onguent qu'elle tenait d'un ami chimiste hongrois de sa mère, mélange d'herbes, d'écorces et d'amande.
Elle travaille dans sa cuisine, fabrique cette pommade elle-même, et la baptiste « crème Valaze », ce qui veut dire « don du ciel » en hongrois). Cette crème rencontre vite auprès de ses amies. Mais elle doit continuer d’avoir plusieurs petits boulots de vendeuse, gouvernante, serveuse… Puis elle lance sa propre affaire en créant la société ‘Helena Rubinstein’.
Elle crée ensuite sa première boutique, à Melbourne, en 1902, situé au 243 Collins Street : elle y vend des crèmes, lotions et savons. Elle décide rapidement d’adapter la formule de sa crème à différents types de peau. Elle-même ne sort jamais sans une ombrelle, sachant l’excès de soleil nocif pour la peau. Elle utilise de la lanoline, une graisse de laine peu coûteuse, mais malgré les dires de conseillers, présente ses produits comme luxueux et décide de les vendre très cher. Elle ouvre ensuite une cabine dans sa boutique, qu'elle appelle « boutique-institut », inventant de fait le concept d'institut de beauté.
Elle comprend rapidement le besoin de promouvoir ce concept, et emploie des actrices et des chanteuses pour figurer comme égéries de sa marque dans des publicités publiées dans la presse. En 1907, elle ouvre un autre salon à Sydney, puis deux autres en Nouvelle-Zélande.
Nouveau départ : retour vers l’Europe, vie de famille et succès
En 1905, à 33 ans, Helena Rubinstein veut aller plus loin et allier produits de beauté et science. Elle décide de céder sa boutique de Melbourne à l’une de ses sœurs, venue la rejoindre. Son nouvel objectif : voyager et rencontrer des scientifiques – dermatologues, diététiciens – qui pourraient soutenir ses projets, mais aussi plus des artistes pour « médiatiser » les produits. Il faut rappeler qu’à cette époque, poudres et fards ont encore mauvaise réputation et restent associés au quotidien des comédiennes et prostituées.
En 1905 également, elle épouse Edward William Titus, journaliste américain, collectionneur et bibliophile, avec qui elle aura deux fils, Roy Valentine et Horace. Selon sa biographe Michèle Fitoussi, il s'agit de « son grand amour », même si leur relation fut souvent conflictuelle : Edward est cultivé, mondain, volage mais tient à leur vie de famille. Helena, elle, est jalouse mais très portée sur son travail. Il l'introduit notamment dans les milieux artistiques et l'assiste dans son entreprise. Il rédige des notices pour ses produits, des publicités, et l'aide à façonner son image pour les médias.
Ils s'établissent d'abord en Angleterre, où Helena ouvre des boutiques à Londres. Toujours passionnée par les sciences, elle consulte Marie Curie, qui lui aurait fait prendre conscience que le corps respire aussi par la peau.
En 1910, elle présente sa classification des types de peau – grasse, sèche et normale. La marque Helena Rubinstein fonctionne pour tous ses produits avec des tests scientifiques rigoureux, une première.
Puis, elle décide de s’installer à Paris, en 1912, car selon elle « les Françaises ont plus le goût du maquillage que les Anglaises ». Elle y fréquente l'intelligentsia parisienne, artistes contemporains et écrivains, dont Marc Chagall, Louis Marcoussis, Louise de Vilmorin, Colette, Misia Sert, Salvador Dalí, Pablo Picasso, et Jean Cocteau qui l'appelait « l'Impératrice de la cosmétique ».
Elle crée alors sa « Maison de Beauté », rue du Faubourg-Saint-Honoré, où elle propose des massages et choque la bonne bourgeoisie. Elle s’inspire de design parisien pour ses boîtes de cosmétiques. L’écrivain Colette est l’une des premières à accepter de s’y faire masser : elle lance une mode.
H. R. crée aussi des maquillages pour l’artiste Joséphine Baker, pour ses spectacles de danse à la « Revue nègre ».
Puis, à la veille de la Grande guerre, elle décide de quitter l’Europe pour les Etats-Unis, et laisse son mari et ses fils en France.
NY, USA
A New York, H. R. ouvre un premier institut, puis suivent d’autres à Chicago et Boston, ainsi que des ‘corners’ dans les grands magasins. Dans ce pays où l’esthétique compte, elle doit faire face à la compétition de grande marque déjà établie, dont celles d’Estée Lauder, venue de Hongrie, et Elizabeth Arden, une Canadienne. Cette dernière surnomme rapidement H.R. « la mafia polonaise », du fait de ses huit sœurs à qui Helena confie des responsabilités dans sa compagnie à chaque fois qu'elle le peut. H.R. crée alors une école de beauté, pour former les futures esthéticiennes de ses instituts.
Puis, en 1928, elle vend ses succursales américaines, pour un montant colossal, dans le but de rentrer en Europe et sauver son mariage. Survient alors la crise de 1929, l’effondrement de la bourse, etc. Elle peut alors racheter ses sociétés 4 fois moins cher, pour sauver ce qu’elle a construit. C’est ainsi qu’elle devient l’une des femmes les plus riches du pays, et commence à collectionner œuvres d’art et produits de luxe.
En 1932, Helena Rubinstein revient à Vienne, pour ouvrir un salon de beauté, au 8 Kohlmarkt.
Elle divorce cependant en 1937 et se remarie un an plus tard avec un prince : le Géorgien Artchil Gourielli-Tchkonia, professeur de bridge de vingt-trois ans son cadet. Elle se fait désormais appeler « princesse ».
Seconde Guerre mondiale et retour en France
Durant la Guerre, H. R. perd une partie de ses avoirs en Europe, mais surtout, elle doit aider ses proches juifs : presque toute sa famille parvient à quitter la Pologne et nombre de ses membres viennent travailler avec elle dans sa société. Elle passe les quatre années d'Occupation nazi de la France à New York, tout en voyageant beaucoup – ouvrant un salon à Rio de Janeiro et un autre à Buenos Aires. Elle devient aussi fournisseur pour l'armée américaine, équipant les soldats en maquillage camouflant, en démaquillage, et en crème solaire.
Après, la guerre, elle revient à Paris, mais trouve son appartement du quai de Béthune et son institut du Faubourg-Saint-Honoré dévastés, ainsi que sa maison de Combs-la-Ville. Elle réaménage les lieux, avec l’aide des architectes et décorateurs Louis Süe, Jean-Michel Frank, et Emilio Terry.
A partir de 1946, elle présente ses produits comme des nouveautés venues des Etats-Unis pour booster son marketing. Dans l’ambiance d’après-guerre, tout ce qui vient des USA est désirable… Elle augmente sa fortune. Elle lance aussi au début des années 1950 le premier salon pour homme, aux USA, bientôt fréquenté par des acteurs de renom. Richissime, elle se lance dans des activités caritatives.
A plus de 70 ans, elle continue de voyager, de rencontrer les dirigeants des pays les plus riches du monde, et s’enthousiasme pour le projet israélien, investissant dans des musées à Tel Aviv.
Helena Rubinstein meurt à New York le 1er avril 1965, à l'âge de 92 ans.
Son seul fils vivant, Roy, hérite d’une fortune colossale, de quinze usines et 30 000 employés dans le monde.
Livres :
Catherine Jazdzewski, Helena Rubinstein, éd. Assouline, 1999
Madeleine Leveau-Fernandez, Helena Rubinstein, éd. Flammarion, 2003
Michèle Fitoussi, Helena Rubinstein, éd. Grasset, 2010
Ruth Brandon, La guerre de la beauté, Comment L'Oréal et Helena Rubinstein ont conquis le monde, éd. Denoël, 2011
Paul-Loup Sulitzer, Hannah (1985, Stock-Éditions n°1) et L'impératrice (1986, Éditions n°1), suite romanesque librement inspirée de la vie d'Helena Rubinstein.
Une exposition :
New York, Vienne, puis Paris - 2019
https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Ile-de-France/Grand-angle/mahJ-Helena-Rubinstein.-L-aventure-de-la-beaute
Écoutez l’épisode
Helena Rubinstein a été présentée par notre invitée Julie Mamou-Mani dans l’épisode 5 du podcast.