Louise Dupin

Louise Dupin, née Louise Marie Madeleine Guillaume de Fontaine, et par son mariage Madame Dupin, est née à Paris le 28 octobre 1706, et morte au château de Chenonceau le 20 novembre 1799.

Elle fut célèbre pour sa beauté et son statut de femme d’esprit.

Grande personnalité du siècle des Lumières, elle a tenu un brillant salon littéraire.

Louise Dupin est l'une des pionnières du féminisme, qui a poursuivi avec ténacité pendant dix ans une étude pour la défense des femmes avec Jean-Jacques Rousseau.

Elle s’est battue pour l’égalité entre hommes et femmes, l'accès au savoir et à la liberté conjugale, proposant un contrat de mariage temporaire ou renouvelable, contre le mariage civil qu’elle juge injuste. Elle était également favorable au mariage des prêtres.

Elle est aussi l'arrière-grand-mère par alliance de George Sand.

 

Biographie détaillée, par Mélissa Chemam

Enfance et éducation

Louise naît à Paris, le 28 octobre 1706. Elle est déclarée comme la fille de Jean-Louis-Guillaume de Fontaine et de Marie Anne Armande Carton Dancourt (1684-1745), dite Manon, fille de l'acteur Florent Carton Dancourt. Elle est donc issue d'une famille d'artistes, presque tous entrés à la Comédie-Française. Elle est en fait l'aînée des trois filles naturelles du banquier Samuel Bernard et de Marie Dancourt.

Marie Dancourt a épousé le 4 novembre 1702 à Paris, à la paroisse de Saint-Sulpice, Jean-Louis-Guillaume de Fontaine (1666-1714), commissaire et contrôleur de la Marine et des Guerres au département des Flandres et de Picardie. De Fontaine reconnaît Louise et ses sœurs cadettes : Marie-Louise, née le 25 août 1710 et Françoise-Thérèse, le 12 mars 1712. Elles ont une demi-sœur et un demi-frère nés de l’union légitime de leur mère.

L'enfance de Louise est ainsi décrite dans une série de lettres dues à un certain Gaston de Villeneuve-Guibert :
« Ses parents, qui possédaient une fortune considérable, ne négligèrent rien pour développer les heureuses dispositions et les qualités naturelles dont elle était douée. Aux charmes les plus séduisants de la figure elle joignait un esprit vif, un caractère élevé, une intelligence précoce et une grande mémoire ; elle plaisait autant par sa douceur que par la grâce et la distinction de sa personne. Sa mère la mit au couvent; elle aussitôt devint l'idole de la communauté : élèves et maîtresses étaient ravies de sa gaieté, de ses talents, de ses saillies; la supérieure la citait comme une petite merveille que tout le monde gâtait et dont on était enchanté. »

Malgré ces propos idylliques, sa jeunesse est marquée par la toute-puissance de l'autorité paternelle, une éducation au couvent, le rôle de l'institution religieuse, consistant à imposer l'obéissance, la soumission, et ensuite l’inéluctabilité du mariage.

Mariage forcé

De fait, son père, Samuel Bernard lui choisi pour mari Claude Dupin, un modeste receveur des tailles à Châteauroux. D'après le chroniqueur Barthélémy Mouffle d'Angerville, en 1722, Claude Dupin était venu en aide à l'aînée de la famille, Jeanne-Marie-Thérèse de Fontaine, de passage dans le Berry, alors marié à François II de Barbançois seigneur de Celon, depuis 1720.

Madame de Barbançois revenait des thermes de Bourbon-l'Archambault, mais souffrante, elle reçoit l'hospitalité de Claude Dupin. Une fois son invitée rétablie, il insiste pour la raccompagner à Paris. C’est ce geste qui permet à Claude Dupin, alors quadragénaire, veuf et père d'un fils de six ans, de rencontrer Samuel Bernard, qui s'informe de sa situation et lui propose la main de Louise, âgée de seulement seize ans… Cette situation inespérée pour lui est assortie de la charge de receveur général des finances.

Leur mariage par contrat a lieu le 29 novembre 1722, et la cérémonie religieuse est célébrée le 1er décembre, à Paris en l'église Saint-Roch. Grâce aux relations et l'appui de son beau-père, Claude Dupin devient fermier général le 1er octobre 1726, après avoir vendu sa charge de Châteauroux.

Samuel Bernard avance la caution de la Ferme à son protégé, pour un montant de 500 000 livres, dispensant le couple quelques années plus tard de toute reconnaissance de dettes.

Le 24 décembre 1728, Claude Dupin achète une charge de « conseiller secrétaire du Roy, Maison, Couronne de France et des finances ». L'acquisition de cette charge lui permet d'obtenir la noblesse au premier degré, ainsi que pour sa descendance.

Grâce à la générosité de Samuel Bernard et aux revenus de la Ferme générale, les Dupin constitue une fortune considérable, et mènent un train de vie fastueux. Dupin quiet notamment l’Hôtel Lambert sur l'Île Saint-Louis, puis le château de Chenonceau, en Touraine.

Mère de famille, amie de l’aristocratie, femme de goût et de lettres

Louise donne naissance à un fils, Jacques-Armand Dupin de Chenonceaux, le 3 mars 1727, rue de Gaillon à Paris.

Leur fortune leur permet de se faire une place dans la haute société aristocratique et mondaine parisienne, où l’on loue les qualités de Louise. Voltaire la surnomme : « la déesse de la beauté et de la musique ».

Louise devient célèbre par son charme et son esprit. Elle participe aux écrits de son mari, dont les volumes d'Observations sur l'Esprit des lois, et travaille à ses propres projets : sur les femmes ou l'amitié. Décrite comme belle, intelligente, et fort cultivée, son pouvoir de séduction attire la sympathie. Et viennent alors vers elle des gens de lettres, des philosophes et des savants. Elle les reçoit lors de dîners, où elle anime les conversations, débats et discussions.

Elle tient à l'Hôtel Lambert, comme à Chenonceau ou à l'Hôtel de Vins, un salon littéraire et scientifique brillant, recevant notamment Voltaire, l'abbé de Saint-Pierre, Fontenelle, Marivaux, Montesquieu, Buffon, Marmontel, Mably, Condillac, Grimm, Bernis, Rousseau, mais aussi les grands noms de la noblesse : la princesse de Rohan, la comtesse de Forcalquier, la maréchale de Mirepoix, la baronne d’Hervey, madame de Brignole, et même Madame du Deffand, maîtresse autoritaire d’un salon tenu rue Saint-Dominique, et la seule à médire de Mme Dupin, probablement par jalousie.

Issue d'une famille d’artistes et d’acteurs, le sens du théâtre paraît inné chez Louise, qui fait aménager une petite salle de théâtre à l'extrémité méridionale de la galerie au premier étage du château de Chenonceau.

Elle pratique également le mécénat. Féministe, Louise revendique pour les femmes l'instruction, l'accès aux emplois publics et à des carrières réservé.e.s jusque-là exclusivement aux hommes.

Pour l’éducation de son fils, Louise Dupin engage même Jean-Jacques Rousseau, de 1745 à 1751, comme précepteur, alors qu’il est son secrétaire personnel. NB. Rousseau arrive dans la capitale, à l'automne 1741, est reçu chez Mme Dupin, rue Plâtrière, en mars 1743 par une lettre de recommandation, afin de présenter une comédie intitulée Narcisse et une notation musicale. Il éprouve d'emblée une vive passion pour Louise… Il la harcèle de lettres, malgré son rejet ferme, voire son mépris pour ces avances. Son beau-fils doit intervenir…

Peu rancunière, quelques mois après ces incidents, elle laisse Rousseau reprendre son service et le charge de s'occuper de l'éducation de son fils Jacques-Armand pendant huit jours, dans l'attente d'un nouveau précepteur. Par la suite, les époux Dupin prennent Jean-Jacques Rousseau comme secrétaire à son retour de Venise en 1745, alors qu'il n'est pas encore écrivain, contre un modeste salaire.

Projets littéraires

Louise Dupin souhaite alors rédiger un ouvrage sur la défense des droits des femmes, qui au XVIIIe siècle sont encore traitées en mineures jusqu'à leur mort. Ce vaste projet commence autour de 1740, peu de temps après la vente de l'Hôtel Lambert, du fait du décis de son père et d’impôts exorbitants, à laquelle elle tente de s’opposer, en vain.

L'impossibilité pour les femmes de pouvoir disposer de biens propres et ou d’être consultées dans leur administration, serait une des motivations de Louise. L'abbé de Saint-Pierre l'encourage dans ce travail, qu’il juge considérable.

Louise Dupin travaille donc déjà sur son ambitieuse étude pendant cinq ans, et décide d'employer Rousseau pour l’aider. Entre 1745 et 1750, il doit prendre des notes et faire des recherches pour son ouvrage. Il n'est qu'un exécutant, écrit sous la dictée de Louise, recopie et met au propre les textes qu'elle relit et corrige.

D’autant plus que Rousseau lui-même a des conceptions sur les femmes aux antipodes des idées de Madame Dupin, comme le montre son traité, Émile ou De l'éducation : « L'un doit être actif et fort, l'autre passif et faible : il faut nécessairement que l'un veuille et puisse, il suffit que l'autre résiste peu ».

Au final, l’ouvrage sur La défense des femmes et l'égalité entre les sexes de Louise Dupin s'étend sur près de 2 000 pages manuscrites inventoriées, réparties en 47 chapitres, resté malheureusement inachevé.

Textes et idées féministes

Louise Dupin contribue aux écrits de son époux, Claude Dupin, auteur notamment en 1749 d'un ouvrage en deux volumes, Réflexions sur quelques parties d'un livre intitulé de L'esprit des lois, qui réfute les arguments développés par Montesquieu dans son étude De l'esprit des lois, publiée l'année précédente, en 1748. Le texte est écrit avec le jésuite Guillaume François Berthier, et peut-être son confrère le Père Plesse.

Claude Dupin a à cœur de défendre la Ferme générale et les financiers attaqués par Montesquieu ainsi que la monarchie, tout en prenant soin de ne pas nommer le philosophe et observant pour lui-même, l'anonymat. Mais cet ouvrage provoque une confrontation avec Montesquieu et sera longtemps impubliable. Une partie de l'ouvrage souhaite aussi prendre la défense des femmes.

Louise Dupin elle-même travaille au texte, resté inachevé, Des femmes, qui prend la défense des femmes et elle prône l'égalité entre les sexes avec un réel engagement féministe. Elle poursuit assidument ce projet à vocation encyclopédique, pendant plus de dix ans — de 1740 à 1751. Jean-Jacques Rousseau lui vient en aide durant les six années de son secrétariat de 1745 jusqu'au début de 1751.

Elle y revendique l'égalité physique, intellectuelle et morale entre les deux sexes. Elle réclame pour les femmes l'accès à tous les savoirs et à toutes les professions. Elle veut réformer les mariages dans le sens de l’égalité et propose un contrat de mariage temporaire ou renouvelable. Elle est favorable au mariage des prêtres.

Elle ne conteste par contre pas l’ordre des classes ni l’esclavage. Elle écrit : « La simple servitude est nécessaire. Elle est utile. C'est un engagement volontaire et sous certaines conditions qu'on est obligé de leur tenir. Leur assujettissement n'a lieu que dans les cas du service mais hors de là, chacun dispose de soi à volonté. »

Le féminisme de Madame Dupin reste par essence, aristocratique. Elle semble avoir oublié ses ancêtres comédiens en même temps que la condition subalterne des femmes du peuple… Elle maintient un sentiment d'appartenance profonde à la classe aristocratique, et propose même une limitation des possibilités d'anoblissement dans le chapitre ‘De la noblesse et des titres’ du même ouvrage.

Louise Dupin n’envisage pas une lutte pour changer la société et les mœurs, pas plus que les autres féministes de son époque. Son féminisme reste dans le cadre de la philosophie et de la théorie.

Dettes et déconvenues

Les Dupin subissent ensuite des déconvenues financières, notamment du fait de leur fils unique, Jacques-Armand, joueur et perdant, qui croule vite sous les dettes. Ils doivent même le faire mettre en prison, puis l’exiler à l'Île de France (aujourd’hui Île Maurice), où il meurt de la fièvre jaune, le 3 mai 1767… Il laisse une fille illégitime, Marie-Thérèse Adam, que Louise élèvera, dont elle fera sa lectrice, et une de ses héritiers.

Puis, le 25 février 1769, Claude Dupin meurt à Paris, laissant une fortune évaluée à plus de deux millions de francs-or. Après un conflit avec son fils Louis, Madame Dupin reçoit le domaine de Chenonceau avec son mobilier, le marquisat du Blanc et l'Hôtel de Vins, rue Plâtrière à Paris.

Révolution

Avec la prise de la Bastille en 1789, ses amis lui conseillent de quitter le pays mais Louise choisit de rester en France. En 1792, elle se retire en Touraine, au moment de la première “Terreur”.

Elle s’installe à Chenonceau, en compagnie de son amie la comtesse de Forcalquier, de sa nièce Madeleine-Suzanne Dupin de Francueil, de ses petits-neveux René et Auguste Vallet de Villeneuve, ainsi que sa gouvernante et lectrice, Marie-Thérèse Adam.

Mme Dupin parvient à préserver son château, qu’elle transmettra avec le domaine à son petit-neveu, le comte René, François Vallet de Villeneuve (1777-1863) et son épouse Apolline de Guibert (1776-1852). Chenonceau restera dans la famille de Villeneuve jusqu'en 1864.

Fin de vie

Louise Dupin termine sa vie à Chenonceau, dans une grande solitude.

Elle meurt le 20 novembre 1799 (30 brumaire An VIII), à l'âge de quatre-vingt-treize ans!

Postérité

Le livre de 2 000 pages manuscrites de Louise Dupin n'a malheureusement jamais été publié de son vivant.

L’épouse du fermier général y avait pourtant consacré plusieurs années de travail.

Olivier Marchal, auteur de deux ouvrages sur Jean-Jacques Rousseau, expliquera :
« À l'instar de Madame Geoffrin voire de Louise d'Épinay, Louise Dupin renonce également à toute prétention au bel esprit ou à l'esprit savant. Elle renonce donc à publier, et aucun de ses ouvrages ne paraîtra de son vivant. À cette époque, que l'on qualifie souvent de féministe, la femme du monde s'expose inévitablement au ridicule lorsqu'elle s'avise de rivaliser avec les hommes dans les domaines les plus sérieux. Pour ne l'avoir pas compris — ou accepté ? —, Madame du Châtelet — qui traduisait alors Newton en français —, fut l'objet des pires moqueries. Moins émancipée, Louise Dupin accepta finalement de s'en tenir à son rôle : celui d'une des plus grandes salonnières du siècle. »

George Sand écrivit un portrait de son arrière grand-mère par alliance en ces termes :
« Belle et charmante, simple, forte et calme, madame Dupin finit ses jours à Chenonceaux dans un âge très avancé. La forme de ses écrits est aussi limpide que son âme, aussi délicate, souriante et fraîche que les traits de son visage. Cette forme est sienne, et la correction élégante n'y nuit point à l'originalité. Elle écrit la langue de son temps, mais elle a le tour de Montaigne, le trait de Bayle, et l'on voit que cette belle dame n'a pas craint de secouer la poussière des vieux maîtres. »

Le professeur Jean Buon est l’auteur d'une biographie sur Louise Dupin, publié en 2013, il ajoute :

« S'il était permis de porter un jugement, le nôtre serait de partager l'admiration de George Sand pour Madame Dupin (voir le chapitre Littérature) et de regretter qu'elle n'ait pas achevé son travail. En dépit de son sentiment aristocratique, elle avait perçu l'injustice de la société. Elle n'avait pas reculé à braver Montesquieu et à perdre son amitié. Mais, elle avait conservé celle de Voltaire. Bien qu'elle n'ait pas pressenti le talent de Jean-Jacques Rousseau à ses débuts, celui-ci a toujours témoigné de la reconnaissance pour sa bienfaisance, lui qui fut si ingrat envers ses amis. »

À lire :

Ses textes - sélection

Louise Dupin (préf. Frédéric Marty), Des femmes : observations du préjugé commun sur la différence des sexes, Paris, Éditions Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque du XVIIIe siècle », 28 septembre 2022, 552 p.

Une Reconstitution de l'Ouvrage sur les femmes de Louise Dupin par Frédéric Marty. Texte complet des 47 articles de cet ouvrage pionnier du XVIIIe siècle.

Louise Dupin (préf. Frédéric Marty), Des femmes : discours préliminaire (Art & littérature), Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque », 31 août 2022, 144 p.

Textes sur Louise Dupin

Frédéric Marty, Louise Dupin : défendre l'égalité des sexes en 1750, Paris, Éditions Classiques Garnier, coll. « L'Europe des Lumières » (no 73), 27 janvier 2021, 344 p.

À écouter :

Pourquoi la philosophe Louise Dupin est-elle restée dans l’ombre des Lumières ?, France Culture, novembre 2022

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/pourquoi-la-philosophe-louise-dupin-est-elle-restee-dans-l-ombre-des-lumieres-5821020

 

Écoutez l’épisode

Louise Dupin a été présentée par notre invité Christophe André dans l’épisode 10 du podcast.

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